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« Les requérants peuvent contester la légalité des règlements qui leur sont appliqués à l’occasion de l’application qui leur en est faite , sans que l’expiration du délai de recours direct contre le règlement litigieux puisse leur être opposée . Mais ils ne peuvent ainsi contester , par voie d’exception , la légalité d’un règlement après l’expiration du délai pendant lequel une action directe peut être introduite contre ce règlement qu’en ce qui concerne celles des dispositions qui ont servi de base à la décision contestée . Ils ne sont pas recevables à invoquer l’illégalité de dispositions du même règlement qui seraient étrangères au litige principal » . C’est dans ces termes que le président R. Odent évoquait , très classiquement , la possibilité de faire jouer l’exception d’illégalité à l’encontre d’un acte réglementaire et de faire ainsi constater par le juge de l’excès de pouvoir , après expiration des délais de recours contentieux , l’illégalité d’un acte réglementaire en tant que ce dernier aurait servi de fondement à des actes subséquents . « Prôner la solution contraire , relevait l’auteur , conduirait à légitimer l’application indéfinie de dispositions illégales , ce qui serait contraire à l’ordre public juridique » . ( Contentieux administratif , Cours du Droit , 1965 –1966 , Fasc . II , p. 724 ) .
Bernard Pacteau , pour sa part , met l’accent sur « l’originalité » de cette « garantie » dont l’usage , a priori perpétuel , autorise le requérant à obtenir à tout moment l’annulation des actes qui font concrètement application d’un règlement entaché d’une illégalité . Tout en soulignant par conséquent « l’immense qualité » de ce mécanisme , l’auteur fait néanmoins état du risque « d’insécurité juridique » dont un tel mécanisme est porteur et relève la propension des pouvoirs publics à chercher à en circonscrire le champ d’application en matière d’urbanisme, mentionnant à cet égard la loi du 9 février 1994 créant l’article L. 600 -1 du Code de l’urbanisme ( B. Pacteau , Contentieux administratif , 7ème ed. PUF 2005 , p. 187) .
René Chapus , quant à lui , résume très clairement les termes de l’alternative . La jurisprudence , écrit-il , est partagée entre deux préoccupations « également légitimes » : assurer la stabilité des normes et situations juridiques ; éviter la perpétuation de l’illégalité ( Droit du contentieux administratif , 11 ème ed. 2004 , Montchrestien , p. 649 ) .
On voit par là très clairement les données du problème . Faut-il privilégier la sécurité juridique , au risque de faire application de dispositions illégales , ou convient-il , au contraire , de veiller avant tout au respect de l’ordre public juridique , ce dernier impliquant qu’il ne puisse être fait application de dispositions contraires à la loi ? C’est à cette question que répond , s’agissant de l’exception d’illégalité d’un SDAU à l’occasion d’un recours exercé contre une DUP , l’arrêt ci dessus publié , éclairé par les conclusions du commissaire du gouvernement , M. Mattias Guyomar , qui retient une conception délibérément restrictive de ce mécanisme , en tant que ce dernier constitue « une entorse à la règle de l’intangibilité des règlements devenus définitifs » .
Les auteurs d’un recours dirigé contre le décret , en date du 27 décembre 2001 , déclarant d’utilité publique les travaux de la déviation de la RN 88 , conférant à cette voie le caractère de route express et portant mise en compatibilité des plans d’occupation des sols de sept communes directement affectées par le projet , sont ils fondés à faire valoir , par voie d’exception , l’illégalité du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme du Puy-en-Velay ? Telle est , en effet , la question principale soulevée par cet arrêt , la seule qui retiendra notre attention . Il faut préciser que ce schéma directeur a fait l’objet d’un certain nombre de modifications par arrêté du préfet de la Haute-Loire en date du 9 mars 2001 , lesdites modifications étant intervenues précisément afin d’y intégrer ledit projet , sachant qu’ à l’occasion de l’annulation d’une première déclaration d’utilité publique , en date du 9 avril 1998 , pour vice de procédure , avait été très clairement évoquée par le commissaire du gouvernement l’incompatibilité dudit projet avec les options fondamentales prévues par les dispositions alors en vigueur du SDAU ( cf. conclusions A. Séban sur C.E. 17 mai 2002 , Association « Préservons l’avenir à Ours-Mons-Taulhac » et autres , Ann. de la voirie , N° 72 , déc. 2002 , p. 235 ) .
A cette question , il est répondu par le Conseil d’Etat , conformément à une jurisprudence établie , que la DUP n’ayant pas le caractère d’une « mesure d’exécution » du schéma directeur ( CE 23 mars 1979 , Mme Canu et autres , Rec. 126 ; JCP 1980 , II , 19418 , note M. Ricard ; CE 7 juillet 1997 , M. Ragot et autres , Req. N° 172050 ) et ne constituant pas une « mesure d’application » d’un document d’urbanisme ( CAA Paris , 30 octobre 2001 , Union des associations de sauvegarde du plateau de Saclay et des vallées limitrophes , RFD Adm. 2002 , p. 416 ) , le moyen tiré de l’illégalité de l’un quelconque de ces documents présente un caractère inopérant et ne saurait , en conséquence , être utilement invoqué à l’encontre de cette décision . En se fondant sur une conception étroite des rapports de dépendance entre l’acte attaqué et l’acte argué d’illégalité , cette solution vise à préserver une acception très stricte des conditions de mise en jeu de l’ exception d’illégalité dans le cadre des rapports DUP - planification de l’espace , exception « dont les effets , est-il souligné par le commissaire du gouvernement , peuvent être ravageurs » . La question se pose toutefois de savoir si une telle analyse n’est pas , en définitive , susceptible d’ engendrer des effets tout aussi dévastateurs sur l’intelligibilité du contentieux , dans la mesure où elle risque de nuire à la clarté du rôle du juge administratif et , de manière plus générale , de contribuer à entretenir le doute quant à la portée du principe de légalité et quant à la subordination de l’administration au droit , et ce au moment même où apparaissent de nouvelles exigences en matière d’environnement .
L’un des arguments invoqués est , une nouvelle fois , celui de l’indépendance des législations , technique combinatoire bien connue qui permet au juge administratif de disposer d’une large marge d’appréciation quant à la détermination des différentes normes juridiques susceptibles de s’appliquer à un litige , cette marge de liberté autorisant ce dernier à agencer celles-ci en fonction de sa propre vision des nécessités de l’action de l’Administration ( cf. H.-M. Crucis , Les combinaisons de normes dans la jurisprudence administrative , LGDJ 1991 , p. 66 et s. , p. 295 et s. ) . L’idée ici largement développée est que le schéma directeur et la DUP n’ont pas de « filiation juridique directe » , que la DUP n’est pas une mesure d’application du SDAU . On sait toutefois que dans le cadre voisin de la théorie des opérations dites « complexes » , le juge n’hésite pas à procéder à une analyse infiniment plus pragmatiste des rapports qu’entretiennent entre eux différents actes , s’efforçant de rechercher s’il y a continuité juridique , lien « direct et nécessaire » entre l’acte attaqué et celui dont l’illégalité est invoquée par voie d’exception ( Cf. J.-C. Bonichot , concl. sur CE 26 fév. 1997 , GFA de la Baume , Petites Affiches 29 juin 1997 , N° 74 , p. 16 ) . Peut-on raisonnablement considérer la DUP comme dépourvue de tout « lien de filiation » avec le schéma directeur , alors même que les textes prévoient , dès lors qu’un tel schéma existe , que celle-ci doit être « compatible » avec ledit schéma ( CE 22 fév. 1974 , Sieur Adam et autres , AJPI 1974 , note R. Hostiou et P. Girod ; R D Pub.1974 , p. 1780 , note M. Waline et 1975 , p. 486 , concl. M. Gentot ) , qu’il apparaît très clairement en l’espèce que si celui-ci a été modifié , c’est à la seule fin que puisse intervenir la DUP contestée et que l’illégalité alléguée affecte par conséquent une disposition réglementaire ayant eu pour objet et pour effet de « rendre possible » la DUP contestée . Il paraît infiniment plus réaliste d’estimer que , dans ces conditions , ces deux actes forment ensemble « une même opération administrative » ( voir , par analogie , CE 8 juin 1990 , Assoc. de sauvegarde du patrimoine martiniquais , Rec. 149 ; RFD Adm. 1991 , p. 149 , concl. Toutée ; CE 5 avril 1996 , Commune d’Oinville-sur-Montcient , D. 1996 , p. 483 , note G. Liet-Veaux ; CE 11 juin 1997 , Epoux Weiss et autres , Rec. 226 ) . Tout en soulignant que l’état du droit en la matière est compliqué par une jurisprudence qui lui paraît inachevée , R. Chapus se prononce , au demeurant , clairement en faveur de cette dernière conception : « On ne force guère la réalité , écrit ce dernier , en estimant qu’une décision qui procède d’une disposition qui a pour objet d’en permettre l’édiction est une mesure d’application de ce dernier » ( Droit du contentieux , préc. , p. 654 ) .
M. Guyomar fait valoir que de toute façon l’exception d’illégalité serait de peu d’intérêt pour les requérants . L’argument est , à vrai dire , réversible car si celle-ci était en l’espèce d’un intérêt aussi limité qu’il est prétendu , on perçoit mal les raisons de s’y opposer de manière aussi catégorique . Le commissaire du gouvernement relève également que les requérants disposent de la faculté de demander l’annulation du SDAU directement par voie d’action . Outre que cela va de soi , faut-il rappeler que tout l’intérêt de l’exception d’illégalité est précisément de donner au requérant la possibilité de disposer d’un recours utile au moment même où il lui est fait application de dispositions dont la légalité est suspecte et que , par conséquent , ces deux garanties ne sauraient être considérées comme de portée équivalente ? Il souligne également qu’en cas d’annulation du SDAU , les requérants pourront solliciter , « s’il est encore temps » , l’annulation ou l’abrogation de la DUP « par voie de conséquence » , en évoquant à ce propos une jurisprudence dont il ressort que l’autorité administrative est tenue de faire droit à une demande d’abrogation d’une DUP si , en raison de l’évolution du droit applicable , l’opération dont s’agit n’est plus susceptible d’être légalement réalisée ( CE 26 fév. 1996 , deux décisions : Assoc. Stop Civaux et autres , 2ème esp. ; CE 26 fév. 1996 , Assoc. Une Basse-Loire sans nucléaire , 3ème esp. , CJEG 1996 , p. 215 , concl. M. Combrexelle , note O. Sachs ; Dr. Adm. 1996 , N° 195 ; Rec. T. 710 ; CE 19 mars 2003 , Mestre et autres , Dr. Adm. 2003 , N° 110 , note M.G. ; AJDI 2003 , p. 864 , note R. Hostiou ; RD Imm. 2003 , p. 332 , chron. F. Donnat ; Dr. Env. Juill.-août 2004 , N° 120 , p. 131 , obs. R.R. ) .
Il convient , selon nous , de se montrer réservé quant aux mérites du palliatif ainsi suggéré . Dissocier le traitement des différentes composantes d’un même contentieux en invitant le requérant à multiplier les recours ne peut que contribuer à retarder la solution du problème , à fragiliser la médiation juridictionnelle , voire même souvent à priver celle-ci de toute portée effective et , indirectement , à inciter l’administration à pratiquer la politique du fait accompli , et ce au moment même où , parallèlement , le nouveau juge des référés semble très opportunément enclin à user de ses pouvoirs de prévention et à ne pas laisser prospérer une DUP dont il sera le plus souvent difficile de dénouer les incidences en cas d’annulation de cette dernière ( cf. TA Amiens , ord. du 6 sept. 2002 , SCI des Trois cailloux C/ préfet de la Somme , AJDI 2003 , p. 522 , note R. Hostiou ) et où le juge administratif , conjointement avec le Tribunal des conflits et la Cour de cassation , s’efforce de limiter la portée du principe de l’intangibilité de l’ouvrage public ( Ach Nelly , L’intangibilité de l’ouvrage public . Un principe ébranlé mais loin d’être enterré , RD Pub. 2003 , p. 1633 ; S. Brondel , Le principe d’intangibilité des ouvrages publics . Réflexions sur une évolution jurisprudentielle , AJDA 2003 , p. 761 ) ? Ne faut-il pas veiller , chaque fois que cela est possible , à ne pas reporter en aval , avec le risque d’ineffectivité que l’on sait , le traitement d’un contentieux susceptible d’être évoqué en amont ? C’est ce qu’impliquent , nous semble-t-il , les dispositions de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 qui , dans le prolongement des exigences de la jurisprudence de la CEDH relatives à l’article 6 § 1er de la convention ( 16 déc. 1992 , Geouffre de la Pradelle , Petites Affiches 25 juin 1993 , p. 76 , note G. Gonzalez ) , stipulent que les procédures contentieuses dans le domaine de l’environnement doivent offrir des recours « suffisants et effectifs » , y compris un redressement par injonction s’il y a lieu ( art. 9-4 ) , alors précisément qu’une conception par trop extensive du principe de l’indépendance des législations risque au contraire de nuire à l’efficacité du contentieux ( en ce sens , B. Drobenko , La convention d’Aarhus et le droit français , RJE N° spécial 1999 , p. 31 et spéc. P. 58 et s. ) . On est par conséquent fondé à s’interroger sur la pertinence de réflexes qui pourraient bien un jour prochain être considérés comme contraires à l’esprit des dispositions nouvelles , d’origine supra-nationale , qui tendent à faire du contentieux de l’environnement un contentieux modèle en termes de garanties pour les justiciables .
Reste à déterminer si ce moment est arrivé . Apparemment non . Dans sa thèse , consacrée à l’analyse des méthodes du juge administratif , Yves Gaudemet évoque la réponse formulée , nous dit-il , par Romieu à qui entendait lui démontrer l’opportunité d’une nouvelle solution jurisprudentielle : « Sans doute avez-vous raison … mais pas encore maintenant » ( LGDJ 1972 , p. 219 , note 16 ) .
René HOSTIOU
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