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Une tentative de « conventionnalisation» du code de l’expropriation
L’ESSENTIEL : Même s’il ne se limite pas uniquement à cela, le décret du 13 mai 2005 portant modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique a essentiellement pour objet de tenter de mettre les dispositions de ce code au diapason des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, s’agissant tout particulièrement de la procédure applicable au transfert de propriété par voie judiciaire et à la fixation par le juge du montant de l’indemnité allouée à l’exproprié. Au coeur de ce débat, le statut du commissaire du gouvernement, «expert et partie », continue toutefois à faire problème.
Décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 portant modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (JO 15 mai 2005, p. 8449).
Au Journal officiel du 15 mai 2005 vient de paraître le décret n° 2005-467, en date du 13 mai, portant modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Le 13 mai évoque, on le sait, un certain nombre de souvenirs dans l’histoire de la Ve République. Cette coïncidence permet-elle d’évoquer à cette occasion un renouveau, voire même une refondation du droit de l’expropriation? Assurément non. Sans doute s’agit-il là, quantitativement parlant, de l’une des réformes les plus importantes apportées à ce droit depuis l’ordonnance du 23 octobre 1958. Riche de 61 articles, ce texte modifie en effet une cinquantaine de dispositions figurant au code de l’expropriation, dont onze correspondant à la partie législative (et ceci conformément aux déclassements préalablement opérés par le Conseil constitutionnel par deux décisions n° 77-101 et n° 88-157 des 3 novembre 1977 et du 10 mai 1988) et il complète ce même code par une dizaine d’articles entièrement nouveaux. On ne se hasardera pas pour autant à présenter ce texte comme de nature à bouleverser un droit très particulier, profondément marqué par ses origines napoléoniennes. Elaboré à l’initiative du garde des Sceaux, ce décret est avant tout un texte de procédure, qui concerne exclusivement le déroulement de la phase judiciaire de l’expropriation et qui par conséquent a très peu d’incidences sur les aspects «substantiels » de ce droit (v., néanmoins, à titre d’exemple, art. 47 modifiant art. R. 13-78 du code de l’expropriation, qui dispose que les intérêts moratoires courront dans des conditions identiques, que l’acquisition soit amiable ou judiciaire). C’est donc en fonction de cette ambition étroitement limitée qu’il convient d’apprécier ce texte.
Ce décret intervient, au demeurant, dans un contexte très particulier. La parution de ce texte était attendue avec beaucoup d’impatience (R. Hostiou, L’arrêt Yvon c/ France: ni lu ? ni compris ?, AJDA 2004, p. 1441) depuis déjà un certain temps, et, tout particulièrement, depuis le 24 avril 2003, date à laquelle la Cour européenne des droits de l’homme avait, dans son arrêt Yvon, condamné la France sur la base des dispositions de l’article 6 § 1er de la Convention relatives au droit à un procès équitable (AJDI 2003, p. 361, note D. Musso; D. 2003, Jur. p. 2456, note R. Hostiou; Ann. loyers 2004, n° 3, p. 473, note R. Martin ; R. Hostiou, Le droit de l’expropriation au regard du droit au procès équitable, AJDA 2003, p. 2123). Immédiatement avalisée par la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 2 juillet 2003, Consorts Monzérian c/ Département de la Drôme, AJDI 2003, p. 600, note R. Hostiou ; RDI 2003, p. 425, note J.-F. Struillou ; JCP adm. et coll. terr. 2003, p. 1127, obs. R. Noguellou ; Dr. et proc. 2003, n° 6, p. 356, note N. Fricero ; Bull. civ. III, n° 140, p. 125), cette situation avait généré la plus grande insécurité juridique pour les autorités expropriantes, la juridiction suprême annulant à compter de cette date et de manière systématique, sous la seule condition que le moyen ne soit pas formulé pour la première fois devant la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 13 avril 2005, Société Saint Martin c/ Commune d’Aisme et autres, Juris- Data 028014), toute décision rendue par les juridictions de l’expropriation « au vu des conclusions du commissaire du gouvernement».
Cette longue attente est-elle au moins récompensée ? Il convient d’être ici nuancé dans la mesure où ce texte contient, en réalité, des dispositions très diverses, dont il serait fastidieux de faire l’analyse exhaustive et où, surtout, il poursuit un double objectif, avec des enjeux qui diffèrent totalement en fonction du but recherché.
Certaines de ces dispositions relèvent avant tout d’un souci d’actualisation et de remise en ordre, d’une simple opération de « toilettage » du code de l’expropriation et l’on doit convenir que ce travail est, sans nul doute, le bienvenu. Le décret du 13 mai 2005 procède ainsi à un certain nombre d’ajustements ou parfois même de suppressions (comme, par exemple, l’art. 56 abrogeant le chapitre IV du titre II du code, ce chapitre ne comportant qu’un seul article, l’art. R. 24-1, qui est un article de renvoi à divers textes), dont l’intérêt n’est certes pas en cause, mais qui ne modifient aucunement l’équilibre de ce droit.
Là où les textes prévoyaient l’avis du ministre « chargé des beaux-arts », le décret précise, par exemple, les hypothèses dans lesquelles le ministre « chargé de la culture » et le ministre « chargé des sites » seront appelés à intervenir à titre consultatif avant que ne soit prise la déclaration d’utilité publique (art. 15 modifiant l’art. R. 11-15 du code de l’expropriation). Le nouveau décret tient compte également de changements intervenus s’agissant du statut de la femme mariée, celle-ci se voyant dispensée désormais, pour pouvoir percevoir l’indemnité qui lui est allouée, de produire son contrat de mariage ou un extrait certifié conforme du livret de famille ainsi que, le cas échéant, la justification du remploi de l’indemnité (art. 56 abrogeant l’art. R. 13-70 du code de l’expropriation).
Certaines modifications sont d’ordre essentiellement terminologique. Aux termes de « secrétaire » et de «secrétariat », il convient de substituer, précise le texte du décret, ceux de «greffier » et de «greffe » (art. 55). D’autres relèvent de la logique des rectifications matérielles. C’est ainsi que le code de l’expropriation continuait, dans de nombreux articles, à mentionner l’avis des commissions des opérations immobilières. Ces commissions ayant été supprimées par le décret n° 88-455 en date du 14 mars 1986, on peut estimer que ce n’est pas avoir fait montre de précipitation excessive que d’avoir pris la décision, en 2005, de faire disparaître lesdites références (art. 40 et 41 modifiant les art. R. 13-43 et R. 13- 44 du code de l’expropriation).
C’est sous l’angle du «droit à un procès équitable» qu’il convient d’examiner prioritairement les apports du décret du 13 mai.
De même, le décret des 16 et 19 juillet 1793 qui imposait, en cas de pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation ou contre l’arrêt fixant le montant de l’indemnité, l’obligation de produire une caution, ayant été abrogé par le décret n° 80-367 du 19 mai 1980, là encore il y a lieu d’estimer que la suppression de ladite mention était également justifiée (v. art. 46 modifiant art. R. 13-65-7° et art. 56 abrogeant art. R. 13-73). Et ce d’autant plus que, dans un premier temps tout au moins, l’applicabilité au droit de l’expropriation de cette suppression avait donné lieu à des réponses jurisprudentielles divergentes (v. Code de l’expropriation, Litec, 2004, 9e éd., p. 225).
Ce même souci de remise en ordre se vérifie avec la codification des dispositions figurant dans le décret n° 87-359 du 26 mai 1987 relatives à la composition et aux modalités de fonctionnement de la commission d’examen des opérations immobilières présentant un caractère secret, commission chargée d’examiner les opérations immobilières intéressant la défense nationale, et qui se retrouvent reprises ici à l’identique (art. 16 modifiant art. R. 11-17 du code et art. 17 portant création des art. R. 11-17-1 à R. 11-17-3 du code de l’expropriation).
Pour utile qu’elle soit, cette opération de toilettage n’était toutefois pas la plus impérativement attendue. Cela a été dit et répété en effet, les contraintes issues de la Convention européenne des droits de l’homme, s’agissant tout aussi bien du principe du droit pour chacun au respect de ses biens que du droit à un procès équitable, sont désormais «incontournables». Il faut constater que chaque fois qu’a été saisie la Cour européenne ces dernières années, celle-ci a jusqu’à présent toujours donné gain de cause au requérants, relevant tantôt des dysfonctionnements contentieux postérieurement à l’annulation d’une DUP (CEDH 21 février 1997, Guillemin c/ France, AJDA 1997, p. 399, note R. Hostiou), tantôt l’absence de prise en compte de certains éléments du préjudice consécutif à l’expropriation (CEDH 22 avril 2002, Lallement c/ France, AJDA 2002, p. 686, note R. Hostiou), tantôt des dérives quant à l’utilisation par les collectivités locales de la technique des réserves foncières (CEDH 2 juillet 2002, Motais de Narbonne, AJDA 2002, p. 1226, note R. Hostiou) et, en 2003 enfin, mettant en exergue les libertés prises avec le principe du contradictoire et avec l’égalité des armes (CEDH 24 avril 2003, Yvon c/ France, préc.).
C’est sous l’angle du « droit à un procès équitable » qu’il convient, par conséquent, d’examiner prioritairement les apports du décret du 13 mai. L’analyse de ce texte témoigne à cet égard de la difficulté de l’exercice qui a consisté, pour les autorités en charge de ce dossier, à tenter de prendre en compte les contraintes procédurales impliquées par la jurisprudence de la Cour européenne, sans pour autant dénaturer un ensemble qui a sa logique propre, héritée du passé, ses contraintes particulières et ses pesanteurs. Ce travail de «conventionnalisation » du code de l’expropriation n’est pas, à vrai dire, nouveau (v. R. Hostiou, Le droit français de l’expropriation et la Convention européenne des droits de l’homme, AJDA 2000, p. 290 et, le droit de l’expropriation au regard du droit à un procès équitable, AJDA 2003, p. 2123) et il est ici poursuivi avec plus ou moins de bonheur.
On distinguera à cet égard, deux séries de dispositions, en examinant tout d’abord celles qui posent le moins de problèmes, soit parce qu’elles s’inscrivent dans le prolongement de dispositions législatives déjà votées, soit parce qu’elles n’affectent pas le noyau dur de ce droit, avant d’aborder, dans un deuxième temps, celles qui soulèvent, semble-t-il, le plus de difficultés et qui concernent l’ordonnance d’expropriation et le commissaire du gouvernement.
Droit à un procès équitable et actualisation du code de l’expropriation
DES MESURES D’APPLICATION POUR LA LOI DU 2 FÉVRIER 1995
«En cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ».
Ces dispositions, issues de l’article 4 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995, codifié à l’article L. 12-5 alinéa 2 du code de l’expropriation, visaient à pallier les inconvénients les plus criants du dualisme juridictionnel en matière d’expropriation. Elles permettent à l’exproprié, alors même qu’il n’aurait pas saisi en temps utile la Cour de cassation d’un pourvoi contre l’ordonnance intervenue à son encontre et que celle-ci présenterait dès lors un caractère définitif, de faire en sorte que l’annulation de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité de demeure pas sans incidence. L’exproprié est alors autorisé à saisir a posteriori le juge de l’expropriation, ce dernier étant habilité dans ce cas à « constater» le défaut de base légale de ladite ordonnance. Saluée au moment de son intervention par un concert unanime de louanges, cette réforme n’avait, semble-t-il, donné lieu qu’à un nombre réduit d’applications (TGI Bobigny 12 juillet 1996, Consorts Cubain c/ Commune de Saint-Ouen, AJDI 1996, p. 1030, obs. C. M.; v. F. Cruz, L’article L. 12-5 alinéa 2 du code de l’expropriation. Bilan de son application, CJEG 2002, p. 159). Le fait est que cet alinéa 2 de l’article L. 12-5 n’avait jamais été suivi de texte d’application et que, dix ans après la publication de la loi, le décret vient par conséquent combler un vide incontestable, révélateur d’une incurie inquiétante (art. 24 portant création des art. R. 12-5-1 à R. 12-5-6 du code de l’expropriation).
L’article R. 12-5-4 dote le juge de l’expropriation de pouvoirs très étendus, celui, en particulier, de vérifier si le bien illégalement exproprié est en état d’être restitué.
Ces articles précisent les modalités de saisine du juge de l’expropriation et les documents que devra joindre à sa demande l’exproprié. On notera, en particulier, que l’article R. 12-5-1 entend désormais enfermer cette action dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision du juge administratif annulant la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité ; que l’article R. 12-5-2 soumet le jugement aux termes duquel ce constat est opéré par le juge de l’expropriation au principe du contradictoire et que, contrairement à ce qui avait été jugé antérieurement (Cass. 3e civ. 12 mai 1999, Moschenross c/ Commune de Haguenau, AJDI 1999, p. 915, obs. C. M.; Bull. civ. III, n° 112, p. 75), cette décision sera susceptible de faire l’objet d’un appel (art.R. 12-5-6). On notera surtout que l’article R. 12-5-4 dote à cette occasion le juge de l’expropriation de pouvoirs très étendus, celui, en particulier, de vérifier si le bien illégalement exproprié est en état d’être restitué et, si tel n’est pas le cas, de condamner l’expropriant à verser à l’exproprié des dommages et intérêts.
Ces précisions sont-elles de nature à conférer une seconde jeunesse à la procédure instaurée en 1995 ? On peut en douter dans la mesure où la procédure prévue à l’article L. 12- 5 alinéa 2 ne fait aucunement obstacle à la possibilité pour l’exproprié de saisir la Cour de cassation, parallèlement au recours qu’il engage devant la juridiction administrative contre la DUP ou contre l’arrêté de cessibilité, d’un pourvoi dirigé contre l’ordonnance en vue d’en demander la cassation par voie de conséquence de l’annulation à intervenir, pourvoi assorti d’une demande de «retrait du rôle » dans l’attente d’une décision définitive d’annulation prononcée par les juridictions de l’ordre administratif (Cass. 3e civ. 31 mars 1999, M. Denis Parcheminier c/ Etat, AJDI 1999, p. 916, obs. C. M.; Bull. civ. III, n° 84, p. 57; Rev. gén. proc. 1999, n° 3, p. 400, note R. Hostiou; Cass. 3e civ. 30 novembre 2004, M. et Mme Clomes c/ Etablissement public foncier de Lorraine, AJDI 2005, à paraître, note R. Hostiou). Autrement dit, le maintien de cette voie traditionnelle laisse à craindre que la procédure de l’article L. 12-5 alinéa 2 ne demeure cantonnée au rôle de « roue de secours », sachant au demeurant qu’alors même qu’il aura obtenu l’annulation de l’ordonnance, l’exproprié se verra le plus souvent, dans un cas comme dans l’autre, confronté au fait accompli et dans l’impossibilité de recouvrer son bien. Ceci nous conduit à penser qu’il y a, pour les requérants, plus à attendre de l’utilisation des nouvelles procédures de suspension-référé que des virtualités de l’article L. 12-5 alinéa 2.
UN RAPPROCHEMENT PAR RAPPORT AUX RÈGLES PROCÉDURALES DE DROIT COMMUN
Ce mouvement avait déjà été amorcé avec l’article 36 du décret n° 2004-836 du 20 août 2004 emportant modification de l’article L. 13-25 du code de l’expropriation et supprimant, en particulier, la dispense du ministère d’avocat aux conseils pour les pourvois en cassation formés contre les arrêts rendus en matière indemnitaire, ainsi qu’avec l’article 2 du décret n° 2004-1420 du 23 décembre 2004 modifiant l’article L. 12-5 du code de l’expropriation et supprimant le délai, dérogatoire au droit commun, de 15 jours dans lequel devait être antérieurement formé le pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation.
Dans le prolongement de ces textes, est également supprimé, au profit du régime de droit commun, le délai de quinze jours dans lequel était enfermé l’appel des décisions
rendues en première instance (art. 7 modifiant art. L. 13-21 du code de l’expropriation), de même que la dispense de ministère d’avocat prévue antérieurement par l’article L. 21-3 (art. 12 du décret). De manière plus générale, il apparaît que le décret du 13 mai, en prorogeant de manière systématique les différents délais, souvent très courts, figurant au code de l’expropriation, vise à atténuer le caractère délibérément expéditif qui caractérise de manière générale cette procédure.
Même s’il avait été jugé que celui-ci avait un caractère simplement indicatif, au délai de huit jours à compter de la réception du dossier, imparti au juge de l’expropriation pour opérer le transfert de propriété, est substitué un délai de quinze jours (art. 2 et 20 du décret, modifiant les articles L. 12-1 et R. 12-2 du code de l’expropriation). De même, le délai imparti au propriétaire exproprié pour dénoncer les fermiers, locataires et divers titulaires de droits sur le bien, qui était antérieurement de huit jours, est désormais fixé à un mois (art. 3 et 28 du décret modifiant les articles L. 13-2 et R. 13-15 du code de l’expropriation). De même, le délai de quinze jours imparti à l’exproprié pour solliciter la réquisition d’emprise totale de son bien, qui était de quinze jours à compter de la notification par l’expropriant de ses offres, est désormais d’un mois également (art. 5, 6 et 29 du décret modifiant les articles L. 13-10, L. 13-11 et R. 13-17 du code de l’expropriation). Enfin lorsque le code prévoyait un délai d’un mois, comme par exemple s’agissant de la production du mémoire en réponse du défendeur, ce délai est désormais porté à six semaines (art. 31 du décret modifiant art. R. 13-23 du code).
Ces mesures visent à « civiliser » une procédure traditionnellement considérée comme devant être menée «à la hussarde».
De manière générale, l’article 52 du décret (art. R. 16-3 du code de l’expropriation) dispose que, sous réserve des dispositions particulières prévues par le code de l’expropriation, ce sont les dispositions du code de procédure civile qui s’appliquent désormais devant les juridictions de l’expropriation. On soulignera toutefois que ce changement de culture processuelle ne va pas toujours sans soulever de questions. Ainsi, par exemple, l’article 10 du décret commenté supprime l’alinéa 1er de l’article L. 15-2 du code de l’expropriation, qui prévoyait que l’appel interjeté contre le jugement fixant le montant des indemnités n’était pas suspensif, ce qui semble effectivement faire tomber cet article dans l’orbite du droit commun tel qu’il résulte des dispositions de l’article 539 du nouveau code de procédure civile. On notera toutefois qu’en maintenant la possibilité pour l’expropriant de prendre possession du bien moyennant versement d’une indemnité égale à ses propositions et consignation du surplus fixé par le juge, l’alinéa 2 de ce même article L. 15-2 prive l’exproprié de l’essentiel des garanties attachées au caractère suspensif de l’appel.
Encore qu’il ne faille, par conséquent, pas en surestimer la portée, ces différentes mesures ne sont cependant aucunement négligeables. Elles visent à « civiliser » une procédure traditionnellement considérée comme devant être menée « à la hussarde » et comme dérogatoire « par nature » au droit commun. A ce titre, elles ne sont pas étrangères à ce qui demeure la question majeure soulevée par ce texte, celle des incidences des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme sur l’ordonnance d’expropriation et sur le commissaire du gouvernement. Le décret contient à cet égard un certain nombre de modifications par rapport aux dispositions antérieures, dont il convient d’appréhender le sens et la portée.
Droit à un procès équitable et respect des grands équilibres du droit de l’expropriation
L’ORDONNANCE D’EXPROPRIATION ET LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE
L’acte aux termes duquel le juge judiciaire prononce le transfert de propriété du bien exproprié, n’est pas, en droit français, soumis au principe de la contradiction. Le juge judiciaire, gardien quelque peu « théorique » de la propriété privée, ne dispose que d’un délai traditionnellement très court pour prendre l’ordonnance d’expropriation au vu d’un dossier, qui lui est transmis par le préfet, et à l’égard duquel le pouvoir de contrôle dont il dispose est des plus limités (art. L. 12-1 du code de l’expropriation).
Ce n’est que récemment pourtant que cette situation semble avoir suscité des réactions. La Cour de cassation, dans son rapport pour l’année 2000, avait en effet évoqué la question de la conventionalité de cette procédure. On peut se demander, s’interrogeaient les auteurs de ce rapport, si cette procédure est bien compatible avec les exigences du droit à un procès équitable (rapport de la Cour de cassation, La protection de la personne, Doc. fr. 2001, p. 12; R. Hostiou, La conventionalité du code de l’expropriation au regard du principe du droit à un procès équitable, RDI 2002, p. 175). De son côté, la troisième chambre civile continuait toutefois à considérer, dans la mesure où, d’une part, en amont de l’ordonnance, la procédure fait une place importante à la contradiction et où, d’autre part, en aval, le caractère contradictoire, en cas de pourvoi en cassation, retrouve tout son empire, que cette situation n’était, en elle-même, nullement critiquable (Cass. 3e civ. 29 mai 2002, Consorts Fieujean, AJDI 2002, p. 702, note R. Hostiou ; Bull. civ. III, n° 117, p. 103).
Toujours est-il que le trouble suscité par ce constat avait conduit, dans un certain nombre de versions antérieures à celle qui a été retenue, à évoquer une obligation pour le greffe de faire connaître aux propriétaires que le juge de l’expropriation allait prononcer le transfert de propriété d’un bien leur appartenant et de faire savoir à ces derniers qu’ils disposaient en conséquence d’un délai (entre quinze jours et un mois, en fonction des versions successives dudit projet) pour faire connaître à celui-ci leurs observations écrites.
Ces suggestions n’ont pas été retenues et le caractère noncontradictoire de la procédure au terme de laquelle le juge de l’expropriation rend l’ordonnance opérant le transfert de propriété n’a pas, en définitive, été remis en cause (art. 20 modifiant art. R. 12-2 du code, en ce qui concerne simplement le délai dans lequel le juge est tenu de rendre l’ordonnance). On remarquera toutefois que le nouvel article R. 12-2-1 impose désormais au juge de surseoir au prononcé de l’ordonnance «dans l’attente de la décision de la juridiction administrative sur le fond de la demande », s’il apparaît que la DUP ou l’arrêté de cessibilité a fait l’objet d’une décision de suspension émanant du juge administratif des référés. Il s’agit par là de chercher à réduire, sans l’exclure toutefois de manière absolue, le risque de « cacophonie » entre les deux ordres de juridiction, au cas où viendrait à être annulé l’un de ces actes postérieurement à la date à laquelle l’ordonnance a acquis un caractère définitif (v. J. Lemasurier, La cacophonie juridique du contentieux de l’expropriation, Mélanges R. Drago, Economica, 1996, p. 427). L’intervention d’une mesure de suspension laissant fortement présager une annulation postérieure de l’acte administratif en question, mieux vaut effectivement prévenir que guérir.
Le texte prévoit que c’est au préfet qu’il incombe d’informer le juge de l’expropriation de la suspension, «dès qu’il a reçu notification de cette dernière».
Il reste une interrogation, s’agissant des modalités de fonctionnement de ce « clignotant ». Le texte prévoit que c’est au préfet qu’il incombe d’informer le juge de l’expropriation de la suspension, « dès qu’il a reçu notification de cette dernière». Outre le fait que cette décision de suspension risque d’intervenir, compte tenu du délai de quinze jours de l’article R. 12-2, après qu’aura été prise l’ordonnance et que, dans un tel cas, la notification préfectorale fera l’effet d’un coup d’épée dans l’eau, il est à craindre que l’information même du préfet ne soit aléatoire dans la mesure où, tout au moins pour le cas où la DUP est prise par décret ou par arrêté ministériel, rien ne garantit que le préfet aura connaissance de la situation, celui-ci n’étant aucunement destinataire de la décision du juge administratif prononçant la suspension de l’acte attaqué. A défaut de bénéficier du principe de la contradiction et de la possibilité d’aviser directement de la sorte le juge de l’expropriation de l’état de la procédure contentieuse devant les juridictions de l’ordre administratif, l’exproprié aura, sans nul doute, intérêt à veiller à ce que l’information du préfet soit effective et, en cas de suspension, à ce que cette information soit bien transmise au juge avant que ce dernier n’ait rendu son ordonnance.
LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT ET LE PRINCIPE DE L’ÉGALITÉ DES ARMES
On rappellera qu’aux termes de l’article R. 13-7 du code de l’expropriation, le directeur des services fiscaux (domaine) dans lequel la juridiction de l’expropriation a son siège exerce les fonctions de commissaire du gouvernement auprès de cette juridiction et qu’il peut désigner des fonctionnaires de son service aux fins de le suppléer dans ces fonctions. Pour la Cour de cassation, le commissaire du gouvernement n’est pas « partie» au procès, il joue le rôle d’un simple « conseiller technique du juge », il ne participe pas à la décision de la juridiction de l’expropriation, moyennant quoi rien ne lui interdit d’exercer lesdites fonctions alors même qu’il aurait établi, pour le compte de l’expropriant, l’estimation préalable des domaines.
Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Yvon c/ France, a considéré que le commissaire du gouvernement, « à la fois expert et partie », occupe «une position dominante dans la procédure, génératrice, au détriment de l’exproprié, d’un déséquilibre incompatible avec le principe de l’égalité des armes». Elle a relevé les carences du code de l’expropriation s’agissant de l’applicabilité au commissaire du gouvernement au principe du contradictoire. Et elle a souligné surtout, contrairement à l’analyse formulée par la Cour de cassation, que le commissaire du gouvernement est «partie à l’instance en fixation des indemnités », qu’il défend des intérêts « similaires à ceux défendus par l’expropriant », que parfois même l’expropriant est représenté par des fonctionnaires du même service que celui auquel appartient le commissaire du gouvernement, qu’il bénéficie « d’avantages notables » dans l’accès aux informations les plus pertinentes contenues dans le fichier immobilier tenu par la conservation des hypothèques.
En dépit de cette attaque en règle, les autorités de l’Etat n’ont pas voulu supprimer une institution que Marcel Waline avait qualifiée pourtant, au moment de sa création, de «monstre juridique » (note sous CE 13 décembre 1968, Association syndicale des propriétaires de Champigny-sur-Marne, RD publ. 1969, p. 512), préférant mettre en place différentes mesures ponctuelles qui visent à répondre, de manière inégalement convaincante, aux différents griefs formulés à l’encontre de celui-ci.
S’agissant de la soumission du commissaire du gouvernement au respect du contradictoire, le nouveau texte dispose, dans le prolongement de ce qu’avait déjà jugé le Conseil d’Etat en 1968 (CE 13 décembre 1968, préc.), que « le commissaire du gouvernement exerce ses fonctions dans le respect du principe de la contradiction guidant le procès civil»(art. 27 modifiant art. R. 13-7 du code de l’expropriation). Il précise, au surplus, que le commissaire du gouvernement devra désormais notifier ses conclusions aux parties à l’instance huit jours au moins avant la visite des lieux (art. 34 modifiant art. R. 13-32 du code de l’expropriation). Même s’il n’est pas totalement inutile, ce rappel à l’ordre n’a toutefois, semble-t-il, qu’une portée relativement limitée dans la mesure où les juridictions s’attachaient à vérifier que les conclusions aient été portées à la connaissance des parties et que celles-ci aient pu en discuter librement avant la clôture des débats, tout au moins au cas où le commissaire du gouvernement propose une estimation inférieure à celle de l’expropriant ou lorsque ses conclusions contiennent des éléments nouveaux (v., Code de l’expropriation, préc., p. 204).
Le poids du commissaire du gouvernement face au juge est également quelque peu réduit. Il cesse de bénéficier d’un monopole absolu de l’expertise en matière d’évaluation des biens, le juge de l’expropriation étant désormais autorisé à désigner un expert (art. 33 modifiant art. R. 13-28). De même, disparaissent les dispositions qui imposaient au juge de l’expropriation, au cas où celui-ci entend écarter les conclusions du commissaire du gouvernement alors que celles-ci sont inférieures aux offres de l’expropriant, d’indiquer « spécialement» les motifs de ce rejet (art. 37 modifiant l’art. R. 13-36 du code de l’expropriation).
On le voit, beaucoup d’efforts ont été faits dans le but de lever les motifs de suspicion touchant à la conventionalité du statut du commissaire du gouvernement. Il est permis toutefois de mettre en doute le résultat de ceux-ci.
Si le même agent ne pourra assurer successivement les fonctions d’évaluateur et de commissaire du gouvernement, ils continueront à appartenir au même service.
L’un des griefs formulés par la Cour européenne des droits de l’homme était, on l’a vu, celui d’une confusion d’intérêts entre le commissaire du gouvernement et l’expropriant. Dans l’arrêt Yvon, la Cour européenne relevait que le commissaire du gouvernement «défend des intérêts similaires à ceux de l’expropriant », tout en soulignant cependant qu’à elle seule cette situation ne suffisait pas à condamner le droit français, à condition toutefois qu’un « juste équilibre » entre les parties soit respecté. En conséquence, l’article 27 dispose que la désignation du commissaire du gouvernement ne pourra désormais porter sur des agents ayant, pour le compte de l’autorité expropriante, donné l’avis d’estimation préalable aux offres d’indemnité (art. R. 13-7 du code de l’expropriation) et que le même agent ne pourra donc assurer successivement les fonctions d’évaluateur et de commissaire du gouvernement. On est toutefois en droit d’estimer que dans la mesure où ils continueront à appartenir au même service et à relever de la même hiérarchie, cette modification relève plus de la clause de style que d’une prise en compte véritable des exigences de la Cour européenne. Au demeurant, le décret ne met aucunement fin à la procédure, instituée par le décret n° 67-568 du 12 juillet 1967 (art. R. 176 à R. 185 du code du domaine de l’Etat), aux termes de laquelle, dans certains départements, le service des domaines est seul habilité à poursuivre les acquisitions à l’amiable ou par voie d’expropriation pour l’Etat ou, à leur demande, pour les autres collectivités publiques. Même s’il est prévu que dans ce cas, le même fonctionnaire ne peut tout à la fois représenter l’expropriant et exercer devant le juge les fonctions de commissaire du gouvernement (art. 179), il va de soi, ne serait-ce qu’au nom de la théorie des apparences, que là encore cette confusion des rôles au sein d’un même service peut paraître troublante.
Par ailleurs, le décret ne résout aucunement le problème qui était au cœur même de l’arrêt Yvon, à savoir l’inégalité des conditions d’accès au fichier immobilier tenu, en application des décrets du 4 janvier et du 14 octobre 1955, par les conservateurs des hypothèques, informatisé depuis 1984, et à partir duquel la direction des services fiscaux établit un fichier dit fichier « œil », beaucoup plus complet et contenant des indications sur la nature du bien, le type d’immeuble, les règles d’urbanisme, le chiffre d’affaires et le bénéfice pour les fonds de commerce, autant d’éléments auxquels les expropriés n’ont pas accès, et ce en dépit de la demande formulée par la CNIL auprès de la DGI aux termes d’une délibération en date du 19 mars 1996 à laquelle il n’a jamais, semble-t-il, été donné suite (v., concl. inédites, particulièrement éclairantes, de l’avocat général O. Guérin sur plusieurs décisions rendues par la Cour de cassation le 13 avril 2005, « il convient que soient communiqués à l’exproprié, auquel ces documents sont opposés, les informations et les traitements utilisés issus du fichier “œil” »).
La réponse apportée par l’article 34, modifiant l’article R. 13-32 alinéa 2 du code, ne paraît pas, en elle-même, de nature à satisfaire les exigences formulées par la Cour européenne. En imposant au commissaire du gouvernement de faire état de tous les termes de comparaison issus des actes de mutation « sélectionnés » [sic] sur lesquels il s’est fondé pour retenir l’évaluation qu’il propose, ainsi que d’indiquer les raisons pour lesquelles les éléments « non pertinents » [resic] ont été écartés, le texte du décret ne répond aucunement aux interrogations soulevées par la Cour européenne, s’agissant de l’effectivité de l’égalité d’accès aux sources de l’information en matière d’évaluation immobilière. C’est dire que la question dépasse à l’évidence le cadre strict du droit de l’expropriation et qu’elle relève, de manière plus générale, de la problématique de l’accès aux documents administratifs et aux informations publiques. On soulignera, à cette occasion, que l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005, relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la « réutilisation» des informations publiques, attribue compétence à la CADA pour connaître des questions relatives au contentieux relevant de l’article 2196 du code civil qui impose, on le sait, aux conservateurs des hypothèques de délivrer à tous ceux qui le requièrent copie ou extrait des documents déposés à leur bureau (JO 7 juin 2005, p. 10222). Mais, répétons-le, en l’état actuel des choses, le décret du 13 mai 2005 ne semble pas, à lui seul, de nature à prémunir le code de l’expropriation du risque d’inconventionnalité. Quant à ce qui concerne le droit «substantiel », il s’agit là d’un autre dossier, qu’il faudra bien également, un jour prochain, se décider à aborder. ■
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